LE BAROMETRE

Titre : La suppression du juge d’instruction : un formidable retour en arrière

lundi 4 mai 2009 par William Word

Certains élèves-avocats ne mâchent par leurs mots. Nous leur donnons la parole.

En ce jour de rentrée solennelle de la Cour de cassation, une annonce fait trembler le monde judiciaire. Le Président de la République court-circuite la Commission Léger chargée de réformer la procédure pénale et annonce la suppression du juge d’instruction et la création d’un juge de l’instruction.

Les réactions ne tardent pas. Un Avocat général s’en réjouit et appelle à l’achèvement du juge d’instruction. Corinne Lepage parle d’une dérive autocratique (Le Monde du 14/01/09), tandis que le Bâtonnier de Paris y voit des « étrennes judiciaires inattendues » (il reviendra d’ailleurs sur son propos un peu plus tard). Le juge Van Ruymbeke parle d’« une véritable reprise en main de l’institution judiciaire par le pouvoir politique ». (JDD du 11/01/2009) Robert Badinter, quant à lui, y voit l’oukase présidentiel. (Le Monde du 21 mars )

Certains avocats s’en félicitent : fini ce juge prétentieux qui se prenait pour un chevalier blanc. Les avocats se trouveront désormais à égalité avec le Parquet. Les droits de la défense vont s’en trouver considérablement renforcés. Vraiment ? Y’a-t-il lieu de s’en réjouir comme certains avocats chercheraient à nous le faire croire ? Comme le dit sur son blog un avocat bien connu, on sait ce qu’on y perd mais pas ce qu’on y gagne.

Pendant ce temps, deux membres de la Commission claquent la porte. La Commission Léger désormais allégée par le départ de deux de ses membres, et donc plus libre de ne pas contrarier les volontés présidentielles, reprend ainsi dans son pré-rapport cette idée de suppression du juge d’instruction !

Elle estime que le cadre d’enquête actuel accroît le délai préalable au jugement ainsi que la durée de la détention provisoire et a pour effet de maintenir les personnes mises en examen ainsi que les victimes dans une situation d’incertitude pendant une durée déraisonnable. En revanche, elle s’oppose à l’idée d’un Parquet indépendant.

Certains avocats auraient-ils eu la naïveté de croire à cette possible indépendance du Parquet ?

Interrogé sur cette suppression en 2006, Robert Badinter estimait qu’une réforme d’une telle ampleur supposerait une refonte totale du Parquet, avec suppression du lien hiérarchique avec le Garde des Sceaux et rattachement de la police judiciaire au ministère de la Justice. Réforme qui serait le « préalable nécessaire » à cette suppression, (Les grands entretiens France 5, 2006). Malheureusement, il n’en est rien. En l’état, cette suppression laisserait au Procureur le pouvoir de poursuite et d’enquête pour toutes les affaires pénales. Ceci aurait pour conséquence d’empêcher certaines affaires, gênantes pour le pouvoir, d’arriver devant le tribunal afin d’y être jugées. Certains procès n’auront tout simplement plus lieu. L’affaire d’Outreau, invoquée par certains, est le prétexte idéal pour exiger cette suppression.

C’est oublier un peu vite ce que les juges d’instruction ont réalisé ces dernières années.

Revenons en arrière, à l’époque de l’affaire Chapron que l’on peut qualifier de point de départ de l’émancipation des juges. Nous sommes en 1975. A la suite d’un accident mortel du travail, le juge De Charette place sous mandat de dépôt un chef d’entreprise après l’avoir inculpé d’homicide involontaire. L’émotion est considérable car pour la première fois un accident du travail mortel (en général classé sans suite) met en cause la responsabilité pénale d’un employeur.

Le Garde des Sceaux Jean Lecanuet s’en offusque. Georges Kiejman lui répond dans France Soir avec un : Surprenant, pourquoi Monsieur Lecanuet ? Tout se met en œuvre pour libérer Chapron. Fait exceptionnel, la Cour d’appel de DOUAI se réunit un samedi matin pour remettre en liberté Monsieur Chapron 5 jours après son incarcération. L’appellation de juges rouges apparaît. Petit à petit, les affaires vont éclore et les juges vont avoir à affronter le pouvoir politique. 1986 sera le début des grandes affaires politico-financières avec l’affaire du Carrefour du développement. Puis, en 1988, ce sera l’affaire Péchiney instruite par la juge Boizette qui met à jour un délit d’initiés commis par des proches du chef de l’Etat. Dans un premier temps, le pouvoir politique a recours aux lois d’amnistie avant d’user de moyens de pressions inadmissibles.

Ce fut le cas dans l’affaire URBA. Le juge Thierry Jean-Pierre mit à jour, là aussi à la suite d’un accident du travail, le système de financement occulte du Parti Socialiste. Effectuant une perquisition au siège d’URBA, le juge Jean-Pierre reçoit alors sur le fax de la société qu’il perquisitionne une Ordonnance le dessaisissant en urgence pour cause de…maladie !!! Georges Kiejman devenu Ministre délégué à la Justice parle de cambriolage judiciaire, mais la Cour de cassation valide la procédure.

Vient ensuite l’affaire Tiberi où le Garde des Sceaux de l’époque alla jusqu’à affréter un hélicoptère en Himalaya pour retrouver le procureur d’Evry afin de faire stopper les poursuites. . Et bien entendu, l’affaire Elf et ses juges, Eva Joly et Laurence Vichnievsky, dont les cabinets d’instruction avaient été placés sur écoute.

Le comble est sans doute atteint dans l’affaire des HLM de la Ville de Paris où le docteur Maréchal, beau père du juge Halphen en charge du dossier, est victime d’une machination policière dans le but d’intimider le juge. Mais la chambre d’accusation invalide le travail de la police. Charles Pasqua, ministre de l’intérieur, s’en offusque. Interrogé dans un documentaire en 2002, Pierre Méhaignerie, ancien Garde des Sceaux, déclarait que sans le travail des juges d’instruction au cours des dix dernières années, le pays se serait sans doute engagé dans une voie de type maffieux, qui avait pu être stoppé en grande partie, (Le temps des juges, Frédéric Compain).

Comment ces affaires ont-elles pu se retrouver à l’Instruction ? Grâce à la saisine du Parquet ? Non pour la plupart, elles ont pour origine une plainte avec constitution de partie civile. Or, depuis 2007, le nombre de constitutions de partie civile s’est réduit puisqu’elle fait désormais l’objet d’un examen préalable ... du procureur. Le risque est sérieux de ne plus jamais voir jugées des affaires politico-financières ou déplaisant au pouvoir politique. Ne nous y trompons pas, ce n’est pas un hasard si ce projet surgit alors qu’on annonce une dépénalisation du droit des affaires….

Les partisans de la réforme y voient une amélioration du système et l’instauration d’une véritable égalité des armes. Quelle égalité des armes ? Et quelle égalité de moyens aussi ? Car si certains avocats ou magistrats pourfendeurs du juge n’ont pas encore vu ou refusent de voir ce que cette suppression entraînerait, les détectives privés eux ne s’y sont pas trompés.

Le 6 mars, lors de leur congrès annuel, ils n’ont pas caché leur attente vis-à-vis de cette réforme : un formidable marché s’ouvre à eux. Mais seuls les mis en examen qui auront des moyens conséquents pour assurer leur défense, et de payer des enquêteurs privés chargés de procéder à une contre-enquête afin de recueillir des éléments pour les disculper, pourront en tirer profit. C’est un coup dur pour l’égalité, le service public de la Justice et c’est bien la consécration de la Justice à deux vitesses.

Il est aussi reproché au juge d’instruction, chargé de rechercher la vérité, d’être schizophrène et de ne pouvoir instruire à charge et à décharge. En revanche, l’idée qu’un procureur (représentant de l’accusation par nature) puisse initier des poursuites et en même temps être un enquêteur impartial ne choque guère.

On nous rétorque que l’avocat du suspect pourra exiger des actes, des auditions de témoins etc. Demandes qui seront accordées à la discrétion du Parquet qui est chargé de poursuivre, à la différence du juge, ne l’oublions pas. L’enquête est bien menée par le parquet, avec le recours à un juge de l’instruction autorisant de temps à autre des mesures mettant en cause les libertés individuelles, mais sans que ce juge exerce un contrôle réel de l’enquête.

Devant toutes ces interrogations, Philippe Léger tentait de répondre le 10 mars lors d’un chat sur Le Monde.fr. Il estimait que les membres du comité avaient considéré de manière majoritaire que dès lors que le juge d’instruction n’intervenait plus que pour à peine 5 % des affaires pénales jugées par la juridiction, cela manifestait le signe que cette institution n’était plus adaptée à notre époque, et l’exemple de nombreux pays européens voisins allait dans le même sens . C’est oublier un peu vite que ce chiffre de 5% représente les affaires les plus complexes et les plus graves où les enjeux sur la culpabilité et les libertés individuelles sont considérables.

Quant à la situation de nos voisins européens : l’Italie n’a plus de juge d’instruction depuis 1989 mais a au moins un parquet indépendant du pouvoir politique. Le juge d’instruction existe toujours en Espagne. Le Royaume-Uni, que l’on cite beaucoup, songe face aux errements de la police dans certaines enquêtes à recréer un juge d’instruction. Précisons tout de même que dans ce pays jusqu’en 2003, la police seule rédigeait l’acte d’accusation. Quant à l’Allemagne où le système existe déjà, aucune affaire politico-financière n’éclot puisque le classement est quasi systématique.

Sur la non indépendance du parquet, le même Philippe Léger ajoutait : « le pouvoir politique peut également donner des instructions particulières pour poursuivre, je dis bien poursuivre, et non pas classer, une affaire déterminée, à la double condition que ce soit par instruction écrite et versée au dossier, donc en toute transparence. Mais le pouvoir de l’autorité politique s’arrête là. » Ce que confirmait quelques jours plus tard le procureur General de Paris Laurent le Mesle qui ajoutait que le ministère ne pouvait pas adresser d’injonctions aux substituts pour qu’ils se dessaisissent d’un dossier.

Là encore, c’est oublier certaines affaires et c’est mal connaître l’histoire judiciaire. En 1990, à la suite de l’enquête préliminaire du parquet de Narbonne sur une affaire de détournement de fonds publics mettant en cause des élus, le Procureur Gérard Brunet reçut un fax lui interdisant d’ouvrir une information.

Mais sans même aller jusqu’à un ordre écrit, un magistrat du parquet dont la carrière dépend du Garde des Sceaux peut-il réellement poursuivre certaines affaires délicates et ne pas les classer ? C’est oublier l’affaire Juppé en juillet 1995 où le fils du Premier ministre de l’époque louait un appartement de 189 m² rue Jacob à un prix dérisoire et avait fait faire des travaux aux frais du contribuable. Le Procureur de Paris, bien qu’estimant le délit de prise illégale d’intérêts constitué, annonçait son intention de classer le dossier si l’appartement était rendu. Aussitôt dit, aussitôt fait ! Un mois plus tard le Procureur était déplacé.

Bien sûr, l’instruction connut des échecs retentissants. Ainsi, l’affaire du petit Grégory avec le juge Lambert, et évidemment l’affaire d’Outreau avec le juge Burgaud qui se voit à tort reproché le dérapage entier de cette affaire, alors que ni la chambre de l’instruction, ni aucune autre institution ne remirent jamais en cause sa procédure.

Si l’affaire d’Outreau est synonyme de fiasco, il y eut aussi au même moment l’affaire d’Angers et ses 66 accusés renvoyés devant la Cour d’Assises pour des faits quasi-similaires, et dont l’instruction fut remarquablement menée malgré la difficulté de l’affaire.

Souvenons-nous aussi des affaires où le juge d’instruction a pu faire la preuve de son indépendance, instruire à charge et à décharge, aller jusqu’au bout de la manifestation de la vérité. Ainsi l’affaire dite des Irlandais de Vincennes où Alain Verleene, juge d’instruction à l’époque, tint son rôle de magistrat impartial et indépendant en prononçant un non-lieu alors que des gendarmes lui mentaient sous serment, au nom de la raison d’Etat.

Car là se situe la différence fondamentale entre juge d’instruction et procureur enquêteur, la recherche de la manifestation de la vérité. Qui peut croire qu’un parquet non indépendant et chargé d’enquêter et de poursuivre serait amené à s’intéresser à cette recherche de vérité dans des affaires mêlant la raison d’Etat ?

Dans l’affaire du bagagiste de Roissy, le juge Thiel sut dénouer très vite la machination et prononcer le non lieu. La solution aurait-elle été la même si le parquet avait été chargé de l’enquête ? Et que dire du cas (extrême il est vrai) où le prévenu s’auto-accuse alors qu’il est innocent ? Le parquet s’arrêtera-t-il à cet aveu, si pratique pour lui ? Aura-t-il la volonté d’aller plus loin dans son enquête ?

Se dirige-t-on vers un système accusatoire à l’américaine où la recherche de la vérité importe peu et où tout se négocie, quitte à accepter d’être condamné pour des faits que l’on n’a pas commis, pourvu qu’en échange le parquet renonce à d’autres charges plus lourdes ?

On nous oppose aussi la durée déraisonnable de certaines instructions (affaire du sang contaminé, et affaire de la société générale dont l’instruction dura 14 ans), délais qui sont, il est vrai, inacceptables. Cette durée d’instruction serait considérablement raccourcie et les affaires jugées plus vite si le parquet était chargé de l’enquête. Cependant, est-il prudent de juger dans la précipitation les affaires les plus complexes et les affaires criminelles les plus médiatisées ? L’émotion est toujours présente et la pression de l’opinion aussi. La justice doit être rendue avec sérénité et il est nécessaire de prendre un minimum de temps pour rassembler sereinement tous les éléments et juger dans un climat dépassionné, loin de toute pression.

Comment penser que l’enquête sera sereine et non orientée dans des affaires où soit le pouvoir politique du moment a des intérêts, soit l’opinion publique à la suite d’un sombre fait divers réclame un châtiment exemplaire, dés lors qu’un parquet non indépendant, et qui se fonde souvent sur le trouble à l’ordre public pour requérir un placement en détention, sera chargé d’enquêter et de poursuivre ?

Alors on comprend mal la réjouissance de certains avocats pénalistes à l’idée de supprimer le juge d’instruction. Pour le moment, cette idée de suppression fait l’objet de discussions puisque plus de quatre-vingts élus de la majorité y seraient opposés. Il est à souhaiter qu’une prise de conscience ait lieu chez d’autres parlementaires et que cette réforme néfaste pour la justice française ne puisse être adoptée en l’état.

William WORD, promotion Abdou Diouf, série B


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