LE BAROMETRE

Entretien avec Gérard Nicolaÿ

dimanche 19 octobre 2008 par Djinn Quévreux

Suite aux bruits de couloir entendus à l’EFB relatifs à une éventuelle réforme de formation des élèves avocats, Le Baromètre s’est penché sur leur origine et sur l’impact que pourrait avoir la création d’une grande profession du droit sur cette formation. Enquête auprès de M. Gérard Nicolaÿ, Directeur de l’EFB...

Les bruits de couloir selon lesquels la formation des élèves avocats est en voie de réformation sont-ils fondés ?

Une commission du CNB chargée d’améliorer la formation initiale y travaille. Notre préoccupation est de savoir s’il ne serait pas possible d’aller vers une harmonisation des formations pédagogiques entre les centre régionaux de formation. Mais cela ne donnera pas des résultats dès janvier 2009.

Actuellement, les cours sont différents en fonction des centres ?

Absolument. Les matières d’examen sont identiques pour tous mais il y a des différences dans l’organisation et le contenu des cours.

Quelles sont les améliorations qui seront apportées dès l’année prochaine à l’ensemble des cours ?

J’ai entendu les commentaires des élèves qui me disent ne pas aimer les cours en amphithéâtre et qui considèrent la formation comme encore trop théorique. Nous allons profondément modifier la façon dont les cours se dérouleront dès l’année prochaine. Nous allons demander aux élèves de s’impliquer plus par la préparation de cas pratiques qu’ils présenteront par groupes de 4 ou 5. Ainsi les élèves seront plus responsabilisés et la formation nécessairement plus pratique. L’intervenant pourra alors jouer pleinement son rôle de transmission de son expérience pratique.

Quant à la durée de la formation, envisagez-vous une réduction à un an ?

Vous savez, je ne suis que directeur d’un des 11 centres de formation, je ne suis pas législateur, même si personnellement je souhaite une réduction.

Mais êtes-vous satisfait de ce passage de la durée de la formation d’un an à 18 mois ?

Non, j’en suis totalement insatisfait. D’abord ce n’est pas 18 mois, la formation à l’Ecole dure 2 ans et demi, ce qui est beaucoup trop long. La France est le seul pays du monde où les futurs avocats ont encore 2 ans et demi de formation après 5 ans d’étude. Je prêche pour une réduction sensible de la durée de la formation. Les études sont beaucoup trop longues, notamment la période du 1er juillet au 31 décembre pendant laquelle se déroule l’examen d’entrée. 70 à 80% s’inscrivent dans des cours privés et payent des fortunes d’août à septembre, puis il y a les examen écrits donc il n’est pas possible de faire un stage ou de travailler. Ensuite, il y les oraux jusqu’en décembre. Il faut donc 6 mois pour passer un examen !

Et les 6 mois de stage en cabinet d’avocats ?

Je trouve que ces 6 mois sont trop courts. Dans beaucoup de pays dans le monde les stages sont plus longs, par exemple en Allemagne ils durent 2 ans. Vous n’avez fait que 6 mois de stage et vous pouvez exercer comme avocat, ce qui me paraît un peu risqué d’autant plus que ceux qui veulent s’inscrire sont souvent ceux qui n’ont pas trouvé de collaboration. L’EFB a essayé d’y remédier par le stage en alternance qui offre aux élèves une expérience professionnelle de 3 mois. Nous avons donc alterné 3 mois de stage et 3 mois de cours. Même si nous avons été critiqués, nous considérons que c’est un vrai plus sur le plan pédagogique et les élèves en sont satisfaits. Ainsi, vous avez l’opportunité d’effectuer deux stages et ça vous permet d’expérimenter deux types de cabinets. Vous pouvez ainsi choisir si vous préférez travailler dans une petite ou une grande structure.

Voudriez-vous que soit remise en place une période probatoire à la sortie de l’école ?

Non, surtout si la durée du stage cabinet est de 9 mois, ce que nous proposons aujourd’hui à l’EFB. Il semble que le CNB ait accepté ce principe même s’il souhaite un stage en alternance plus court que celui que nous proposons.

Et que pensez-vous du PPI ?

Je n’étais pas très partisan du PPI au départ, mais je reconnais que les élèves en sont très satisfaits. Je pense particulièrement aux stages en juridictions et en entreprises. Par contre je ne suis pas sûr que la validation d’un M2 soit une bonne chose. De toute façon, 80 % de nos élèves ont un M2. J’ai toujours tendance à laisser la liberté de choix plutôt qu’à imposer les choses. J’aimerais un peu de souplesse dans son application, par exemple pour ceux qui souhaitent faire leur PPI en cabinet d’avocat. .

S’agissant du PPI en juridiction, qu’en est-il de l’indemnité envisagée en début d’année ?

Nous ne pourrons malheureusement pas donner cette indemnité.

Les droits d’inscription à l’Ecole vont-ils baisser ?

La difficulté c’est qu’au moment de la réforme, l’Etat s’était engagé à prendre en charge 50% du coût de la formation des élèves-avocats. Aujourd’hui, l’Etat paye seulement 8%. Nous avons donc été obligés d’augmenter les droits d’inscription afin de pouvoir payer le personnel de l’école et les 550 intervenants.

Que dites-vous de l’idée, exprimée à plusieurs reprises par Me Rembauville-Nicolle, ancien membre du Conseil de l’Ordre et du CNB, de mettre en place un « internat d’élèves-avocats », plaçant une dizaine d’élèves sous la direction d’un avocat chevronné qui les ferait travailler sur des cas réels ?

C’est une très bonne idée mais difficile à mettre en œuvre avec une promotion de 1400 élèves-avocats. Cette idée sera toutefois appliquée dès l’année prochaine avec la mise en place d’avocats référents. Un référent membre ou ancien membre du Conseil de l’Ordre recevra dès le premier mois de la rentrée, un petit groupe d’élèves dans la salle du Conseil de l’Ordre pour leur expliquer le fonctionnement de l’Ordre. Suivront une ou deux autres rencontres où le référent conduira son groupe assister à des audiences et le recevra dans son cabinet pour lui en expliquer le fonctionnement.

Etes-vous favorable à l’augmentation du niveau d’accessibilité à l’examen d’entrée au Master 2 ?

80 à 90% des élèves de l’école ont un Master 2 donc c’est une situation de fait mais de toutes façons je pense que ça passera naturellement puisque le diplôme maintenant est un M2.

Dans le cadre de cette réforme de l’EFB, où en est le fameux projet de déménagement à Aubervilliers ?

Le projet de déménagement de l’Ecole est toujours d’actualité. Une commission nommée par notre Bâtonnier y travaille et examine plusieurs projets. Nous avons bon espoir de conclure prochainement. Mais fondamentalement, tout cela sera indéniablement lié à la discussion que nous allons mener sur la grande profession du droit. Il existe toujours le grand rêve de faire une école nationale de formation des élèves-avocats. Dans ce cas, des locaux comme ceux d’Aubervilliers permettraient l’accueil d’environ 3 000 élèves-avocats. Mais je ne pense pas que ce soit souhaitable. Logiquement, si l’on n’a pas d’école nationale de formation des avocats, il y a 1 200 élèves à Paris et en pareil cas, nous n’avons pas besoin de 10 000 mètres carrés voire davantage.

Admettons que l’on crée cette grande profession du droit, il y aura certainement plus de 1 200 élèves dans une école dédiée à la formation initiale. Dans ce cas, ne pensez-vous pas que le projet « Aubervilliers » sera remis à l’ordre du jour ?

Je n’ai rien contre Aubervilliers en tant que tel mais je pense que l’école de formation du barreau de Paris doit se situer dans Paris, être proche des cabinets d’avocats. Le fait est que 550 intervenants doivent se rendre à l’EFB pour y dispenser des enseignements durant deux heures en moyenne. Depuis le centre de Paris, les trajets vers Aubervilliers sont très chronophages. En ce qui me concerne, je persiste à penser que pour nous avons besoin de beaucoup d’intervenants et qu’il faut faciliter leur venue. De plus, il faut prendre en considération les activités de l’AEA qui se terminent tard et que les élèves-avocats puissent rentrer sans encombre.

En l’état des prix de l’immobilier, est-il possible de trouver des locaux adéquats et plus grands que ceux occupés actuellement (NDLR :3.800 mètres carrés) ?

Oui, c’est tout à fait possible. Mais la superficie sera évidemment moins importante que celle des locaux situés à Aubervilliers.

Et quid de ce projet de grande profession du droit ?

Aujourd’hui, la grande profession du droit est très éparpillée et peu soudée. Il est très difficile de passer de l’une des professions juridiques ou judiciaires à l’autre : de notaire à magistrat, de magistrat à avocat… Il n’y a pas de sentiment d’appartenance à une seule et même profession, à un seul corps… A titre de comparaison, aux Etats-Unis, les choses ne se passent pas du tout pareil car il existe un grand nombre passerelles entre les professions. Tous sont des lawyers avant tout. Il n’est pas rare qu’un magistrat soit un ancien avocat ou l’inverse. Et il y a de fait un respect profond et une fierté d’appartenance à cette profession. De l’extérieur, le lawyer est également très respecté et il possède un véritable statut social, lequel a considérablement périclité en France depuis quelques temps. Moi, je rêve d’une profession du droit qui soit réévaluée.

Comment parvenir à un tel résultat ?

Une première solution consisterait à fusionner toutes les professions. Je ne suis pas sûr que ce soit réalisable immédiatement, et je ne suis pas certain que l’on y arrive pour le 1er janvier 2009. La seconde solution serait de faire une seule Ecole du droit mais se pose le problème de l’option entre régionalisation ou centralisation. Je ne crois pas qu’il soit possible et souhaitable d’avoir une seule Ecole nationale des professions juridiques en un seul lieu. Les effectifs seraient dans ce cas très nombreux. La régionalisation me paraît être la meilleure solution. En province, les avocats ne sont d’ailleurs pas favorables à l’unification en une seule école nationale du droit car ils aiment avoir un centre près de chez eux afin d’avoir des stagiaires. Par conséquent, les centres régionaux sont farouchement contre toute idée de centralisation eux aussi. En ce qui me concerne, d’un point de vue pratique, je suis contre cette idée d’une grande et unique école. Cela me paraît trop difficile à gérer. Cela poserait en plus des problèmes d’accessibilité, de déplacement des élèves provinciaux, de coût en matière d’intervenants. Mais la régionalisation pose également le problème de la spécificité de la formation de certaines professions telles que celle des magistrats.

De plus, le climat entre magistrats et avocats est parfois tendu...

C’est pourquoi cette consolidation du sentiment d’appartenance doit être réalisée en amont, dans les universités. Il pourrait s’agir d’un cursus de 2 ans, qui serait un tronc commun choisi par ceux qui se destinent aux professions juridiques et judiciaires. Ce cursus commun consisterait à former et initier nos futurs élèves à nos professions (initiation aux règles de déontologie communes, aux techniques de procédures, de consultations…). Des conférences-débats sur les professions juridiques et judiciaires complèteraient ces formations. Les étudiants seraient également encouragés à réaliser des stages dans les différentes professions et ce, dès la 3ème et 4ème année. Ce cursus sans sélection liminaire, serait sur option et serait une sorte d’initiation aux professions juridiques et judiciaires. La visée pédagogique serait d’inculquer des notions de déontologie communes à toutes les professions. Il faudrait arriver à expliquer aux élèves ce que sont les codes d’éthique et de déontologie et démontrer à ces étudiants qui feront ensuite le choix de l’une ou l’autre des professions qu’ils ont un cursus commun. Il serait pertinent d’adjoindre à ces enseignements déontologiques des cours spécifiques de procédure et de technique contractuelle et d’insister également sur la dimension européenne et communautaire de certains pans du droit. Il faut persuader les étudiants de cette appartenance et du fait que c’est uniquement dans l’application que leurs activités vont différer.

Mais, est-ce que cette idée ne recèle pas le risque de faire double emploi avec les Master 1 « carrières judiciaires » ?

Ce projet devra, pour être mis en œuvre, tenir compte de ces Masters ainsi que des IEJ, voire se substituer à eux. J’ai d’ores et déjà travaillé avec un certain nombre de personnalités universitaires et du monde professionnel et tous se sont montrés intéressés par cette idée. Mais comprenons bien qu’il s’agit de créer un cursus permettant aux futurs membres de la grande profession juridique et judiciaire de se retrouver, de se connaître et de se sentir membres d’une même famille.

Ce serait donc un grand pas vers la grande profession du droit.

Propos recueillis par Jean-Baptiste Charles et Djinn Quévreux, Promotion Abdou Diouf, Série J


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