LE BAROMETRE

La parole au Bâtonnier de Paris...

dimanche 12 octobre 2008 par Djinn Quévreux

Consacrant le dossier de la rédaction à l’actuel projet de réforme bouleversant la profession d’avocat, le Baromètre ne pouvait aborder ce thème sans rencontrer le Bâtonnier Christian Charrière-Bournazel. Préférant l’expression de « grande profession d’avocats », il porte la voix de la profession.

Où en est ce projet de réforme de la profession d’avocat, par le biais de la création d’une grande profession ?

Une Commission a été mise en place afin d’étudier le projet de création d’une grande profession d’avocat à la demande du Président de la République, présidée par Jean-Michel Darrois et composée de professeurs, de magistrats, de fonctionnaires.

Ne trouvez-vous pas surprenant que la profession d’avocat ne soit pas davantage représentée ?

Non, car tous ceux qui souhaitent être entendus le sont officiellement, à savoir le CNB, l’Ordre de Paris, des leaders syndicaux ou encore d’anciens Bâtonniers tel que mon prédécesseur Yves Repiquet. Il ne peut y avoir aucune suspicion en la matière.

Ce projet de réforme est-il préoccupant ?

Ce qui me préoccupe, c’est tout ce qui pourrait porter atteinte à l’indépendance et au secret professionnel, c’est à dire à l’identité de l’avocat. Dans certains pays, par exemple aux Etats-Unis et en Europe, il n’y a pas de cloisonnement des professions du droit comme en France. Nous ne ferons que nous aligner sur ce qui existe déjà dans ces pays. L’intérêt d’une grande profession d’avocats, c’est que tous ceux qui pratiquent le droit soient soumis à la déontologie exigeante de l’avocat et à son éthique qui est une garantie pour les citoyens. Cette considération emporte toutes les autres car ceux qui s’en remettent aux avocats pour les défendre doivent avoir totalement confiance en eux. L’avocat ne peut pas servir des intérêts contradictoires, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui de tous les professionnels du droit. Par exemple, le notaire reçoit des personnes qui n’ont pas toujours des intérêts conjoints, comme dans une vente s’agissant des intérêts du vendeur et de l’acquéreur. Il s’agit d’avoir une identité commune par la déontologie dans l’intérêt des citoyens qui sont demandeurs de conseils ou de défense.

Que pensez-vous de la piste de réflexion envisagée dans la lettre de mission destinée à Jean-Michel Darrois du recours à des investissements extérieurs pour accroître la compétitivité des cabinets français sur la scène internationale ?

Certains y sont complètement hostiles, certains admettent l’existence de capitaux extérieurs dans la limite de 25 %. Il faut savoir que les sollicitors anglais s’introduisent en bourse.

Vous n’y êtes donc pas hostile ?

A priori, je n’y suis pas éperdument favorable en raison de la menace que cela fait peser sur l’indépendance de la profession.

De plus, avec la création d’une grande profession du droit ou d’avocats, le nombre d’avocats passerait d’environ 48 000 à 140 000. Comment gérer cet accroissement soudain ?

Il y a 150 000 avocats en Allemagne, il y en a 140 000 en Espagne, 146 000 en Angleterre qui est moins peuplée que nous. Cela sera facilement gérable car les avocats seront spécialisés. Il y aura peut être aussi dans cette profession les administrateurs judiciaires, pour lesquels une spécialité sera mise en place, pour apprendre par exemple à faire un plan de cession ou de reprise. Le problème est pour les avoués qui sont dans un état de risque certain puisqu’ils n’ont comme clientèle que les avocats. A partir du moment où les avocats feront le métier des avoués, ils se passeront d’eux, mais ils pourront s’associer dans des cabinets avec des avocats comme spécialistes de la procédure.

La fusion des avocats et des juristes d’entreprise est-elle risquée ?

Il ne faut pas en avoir peur. On a eu peur autrefois en 1971 de la fusion entre les avoués de première instance et les avocats. Quant aux conseillers juridiques en 1991 on les appelait les agents d’affaires et finalement la fusion s’est bien passée. Il y a une pesanteur réactionnaire dans notre beau milieu d’avocat. Aujourd’hui le juriste d’entreprise se fait conforter dans son avis vis-à-vis de son employeur par une consultation d’avocat. Il continuera.

Selon vous, la profession d’avocat n’est donc pas mise en péril par cette réforme ?

Absolument pas. Ce qu’il faut c’est développer une compétence particulière au cours de sa carrière, pour aller toujours plus loin dans un domaine. C’est la raison pour laquelle j’ai mis en place avec la BNP des prêts sans caution à taux d’intérêt les plus bas possibles. Allez acquérir une formation complète à l’étranger. Cette réforme commence par votre volonté d’entreprendre et votre volonté d’être plus compétents. Notre profession est une profession libérale, indépendante et à risques, mais personne n’est obligé de devenir avocat. C’est de vous que cela dépend, de même que s’agissant de la préservation du droit dont vous êtes les gardiens.

Comment envisagez-vous cette réforme au niveau de la formation des élèves avocats ?

Je pense qu’il faudrait subordonner la possibilité de passer l’examen d’entrée à l’Ecole à l’obtention d’un Master 2 et dispenser un enseignement plus pragmatique, qui reste trop théorique même si des progrès ont été faits, dans une grande Ecole d’avocats, de notaires, de juristes d’entreprise et de magistrats. Nous pourrions avoir une formation commune à tous avec des enseignements spécialisés par profession. Cessons la guerre civile entre professionnels !

Cette école serait à Aubervilliers ?

Arrêtons cette campagne de désinformation qui consiste à faire croire que j’avais l’intention d’emménager l’Ecole à Aubervilliers début janvier. Je n’ai pas besoin de l’immeuble de Charenton pour faire la Pépinière qui sera opérationnelle en mars dans d’autres locaux.

Quels sont les nouveaux secteurs d’activité pour l’avocat de demain dans lesquels s’investir ?

Aider par exemple les artisans à établir leurs documents comptables et juridiques en conformité avec la loi. On a besoin de l’avocat partout et pas seulement pour faire une consultation de 150 pages sur un problème très difficile. On en a besoin aussi comme un facilitateur de relations harmonieuses et respectueuses les uns des autres. Il s’agit aussi de l’assistance aux collectivités locales qui représente un marché considérable ou encore le droit de l’environnement qui prend son essor.

Que pensez-vous de l’idée d’un Ordre régional, voire national, défendue par Michel Bénichou ?

Il a raison. Je propose qu’il y ait des Conseils de l’Ordre de Cour dans lesquels des Chambres Départementales telles que celles des notaires ou des huissiers seraient intégrées, ainsi qu’un Conseil National des Ordres Professionnels de Juristes ou d’Avocats qui aurait deux missions : d’une part, l’unification de la déontologie pour qu’il y ait une déontologie commune, d’autre part, une fonction de régulation à deux égards. Tout d’abord, en tant qu’organe d’appel des décisions des Conseils de Discipline de Cour. Des professeurs de droit et magistrats pourraient y siéger. Ensuite, en tant que juridiction de règlement (composée de toutes les professions) lorsqu’ un conflit déontologique existe entre deux professions (notaire et avocat par exemple) ou entra avocats de barreaux différents. Nous nous assurerons ainsi d’une neutralité pour examiner la question qui se pose entre eux. Chargé également de trancher les litiges entre des avocats appartenant à des ordres différents, il enlèvera aux bâtonniers locaux le souci d’avoir à poursuivre des confrères avec qui ils sont souvent en relation de proximité.

La réflexion entamée est une réflexion profonde. En ce qui concerne l’intégration des notaires à la profession d’avocat, encore une fois il ne s’agit pas de dire que les avocats veulent absorber les notaires pour leur prendre leur argent.

Ma préoccupation est celle du citoyen qui a besoin du droit partout et d’identifier le juriste à un homme ou à une femme astreint à une éthique et une déontologie qui est la même quel que soit son mode d’exercice. Il faut rétablir la confiance

Et l’aide juridictionnelle dans tout ça ?

Le coût des avocats a la réputation d’être excessif. Il est vrai que demander 2 000 euros à une personne dont c’est le salaire mensuel est délicat mais une fois les frais de fonctionnement, loyers, URSSAF, et les cotisations payés que reste-t-il à l’avocat sur cette somme ? Si on veut un accès plus large, il faut, au risque de faire hurler certains de mes confrères, augmenter le niveau d’admission à l’aide juridictionnelle, mais sans avoir à demander de l’argent à l’Etat. Je vais faire dans la pépinière une tentative d’aide juridictionnelle à la québécoise. Dans la pépinière iront les avocats qui n’ont pas de clientèle ni de revenus leur permettant de louer des locaux. Ces avocats, d’une ancienneté de plus de deux ans, seront collaborateurs de l’Ordre aux fins de l’AJ, payés mensuellement en rétrocession d’honoraires, sans frais, avec possibilité d’avoir des clients personnels, pourvu qu’ils respectent un quota d’affaires civiles par mois et des commissions d’office pénale (garde à vue, étrangers, comparutions immédiates). Ils auraient une rétrocession d’honoraires égale à celle d’une troisième année de collaboration. Ceci n’empêchera pas les autres avocats de prendre des dossiers à l’aide juridictionnelle. Je n’ai pas l’intention de prendre l’AJ à ceux qui n’en ont pas, l’objectif est qu’il y en ait plus si nous élargissons les critères d’admission.

Il faut aussi développer les alternatives au procès. Je pense à la médiation mais surtout au contrat collaboratif qui est l’obligation de rentrer dans un processus de négociation avant tout procès. Les parties ne peuvent pas faire de procès s’il n’y a pas eu de phase collaborative. Si l’aboutissement à un accord se révèle impossible, on détermine alors les points réglés et ceux qui ne le sont pas, ce qui accélère considérablement le travail judiciaire. Pour être sûr que ce n’est ni un leurre, ni un simulacre, les avocats du contrat collaboratif ne seront pas les mêmes que ceux qui ont plaidé. Si l’avocat habituel d’un client ne veut pas le perdre pour plaider, il enverra alors le traitement de la phase collaborative à un correspondant qui ne pourra jamais devenir l’avocat du client pour lequel il aura assuré la phase collaborative.

Sur toutes ces questions, tout le monde sera consulté et l’Ordre délibèrera. Je me borne ici à ouvrir des pistes de réflexion.

Propos recueillis par William Word, promotion Abdou Diouf, série B, et par Djinn Quévreux, promotion Abdou Diouf, série J


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