LE BAROMETRE

Projet de loi pénitentiaire : avancée ou désillusion ?

mardi 6 janvier 2009 par Djinn Quévreux

L’été dernier, l’administration pénitentiaire annonçait un bien triste record. Le 1er juillet 2008, les prisons françaises n’avaient jamais été aussi remplies, avec 64 250 détenus pour 50 806 places disponibles, soit une densité carcérale de 126 %. Le 28 juillet 2008, le Garde des sceaux présentait en Conseil des ministres un projet de loi pénitentiaire ayant pour principal objet de doter la France d’une loi fondamentale sur le service public pénitentiaire...

De nombreux et terribles faits divers ont démontré ces derniers mois la nécessité de réformer le système carcéral français. Le 1er septembre 2008, un détenu prenait en otage un psychologue dans la Maison d’arrêt de Fleury-Mérogis. Le 11 septembre 2008, un détenu condamné pour conduite en état d’ivresse était égorgé à la Maison d’arrêt de Rouen par son codétenu, coupable d’homicide volontaire. Le 28 septembre 2008, un détenu était tué par balles au moment de la promenade dans la cour de la Maison d’arrêt de Varces par un tireur posté à l’extérieur de l’établissement pénitentiaire. Le 17 octobre 2008, un détenu se pendait dans sa cellule à la Maison d’arrêt d’Ensisheim, portant à 90 le nombre de suicides en prison depuis le début de l’année.

Les directeurs d’établissements pénitentiaires et les surveillants dénoncent un niveau historique de surpopulation carcérale et un sous-effectif chronique. Pourtant, le 19 septembre 2008, la Ministre de la justice annonçait la création de mesures de surveillance particulières pour les détenus considérés comme étant à risques, avec notamment une ronde de surveillance au moins toutes les deux heures. Pour que ces mesures soient effectives, il est évident que le nombre de surveillants pénitentiaires devra considérablement croître.

Les syndicats pénitentiaires, qui appelaient à un blocage total des prisons le 13 novembre 2008, ont finalement été reçus à la Chancellerie le 22 octobre 2008. Ils ont obtenu que soient mis en place, à partir de la mi-novembre, des groupes de travail sur les conditions d’exercice du personnel pénitentiaire ainsi qu’un audit dans tous les établissements pénitentiaires pour évaluer les besoins en personnel.

Dans la même mouvance, le projet de loi pénitentiaire vise notamment à améliorer la reconnaissance des personnels, en précisant les conditions d’exercice de leurs missions, et en instaurant une réserve civile pénitentiaire. La création d’un Code de déontologie des personnels pénitentiaires est également prévue.

Pour accompagner le projet de loi, le budget de la justice pour 2009 prévoit une hausse de 2,6 %. Compte tenu du nombre démesuré de détenus eu égard aux places disponibles, 7 nouveaux établissements pénitentiaires et 2 quartiers de courtes peines seront ouverts en 2009, pour un total de 5 130 nouvelles places. L’administration pénitentiaire sera renforcée par 1 087 agents, dont 917 surveillants. Malheureusement, il y a de forts risques que ces nouveaux surveillants soient affectés à des futurs établissements et ne viennent pas renforcer les équipes existantes.

Le projet de loi pénitentiaire a également pour objet de garantir les droits des détenus. Il s’insère dans une volonté prééxistante d’améliorer les conditions de détention, volonté clairement affichée depuis, notamment, l’adoption de la loi n° 2007-1545 du 30 octobre 2007 instituant un contrôleur général des lieux de privation de liberté. Toutefois, si le projet de loi apparaît à cet égard comme un progrès, les conditions de détention sont aujourd’hui si alarmantes qu’il n’y avait guère d’autre choix que celui de réagir, et réagir vite ! Selon son article 10, les détenus « ne peuvent faire l’objet d’autres restrictions que celles résultant des contraintes inhérentes à leur détention, du maintien de la sécurité et du bon ordre des établissements, de la prévention des infractions et de la protection de l’intérêt des victimes. Ces restrictions tiennent compte de l’âge, de la personnalité et de la dangerosité des détenus ». Pour une meilleure prise en charge, le projet de loi prévoit l’individualisation de leur régime de détention en fonction des éléments de leur personnalité, de leur dangerosité et de leurs efforts de réinsertion.

Parmi les avancées du projet de loi, l’article 11 prévoit la libre communication des individus condamnés avec leurs avocats. Les articles 15 et suivants affirment l’importance du maintien des liens familiaux des détenus, au cours de l’incarcération et dans une perspective de réinsertion. Dans ce but, ils généralisent l’accès des détenus au téléphone.

Le projet de loi pénitentiaire prévoit par ailleurs le développement des aménagements de peine. Pour ce faire, l’article 32 introduit à l’article 132-24 du Code pénal un nouvel alinéa aux termes duquel l’emprisonnement ne devra désormais être retenu en matière correctionnelle que si la gravité de l’infraction et la personnalité de son auteur rendent cette peine nécessaire et que « toute autre sanction serait manifestement inadéquate ». Dans ce cas, la peine d’emprisonnement devra, dans la mesure du possible, « faire l’objet d’un placement sous surveillance électronique ou d’une autre mesure d’aménagement » de peine. La volonté affichée est donc claire : désengorger, coûte que coûte, les prisons françaises. Il est également prévu que les peines pourront être effectuées sous le régime du placement sous surveillance électronique si la peine ou la fraction de peine restant à exécuter est inférieure à deux ans.

Pour atteindre les objectifs fixés, en 2009, le nombre de bracelets électroniques augmentera de 2 500, ce qui conduira à porter leur nombre total à 6 500, accompagnant la volonté affichée de développer les alternatives à l’emprisonnement. Par ailleurs, 500 emplois d’insertion et de probation seront créés d’ici 2012 afin de permettre de développer de véritables parcours de peine.

Dans la même optique, le projet de loi crée une nouvelle alternative au recours systématique à la détention provisoire, par un possible placement sous surveillance électronique fixe. En effet, l’article 37 du projet de loi modifie l’article 137 du Code de procédure pénale, réaffirmant le caractère exceptionnel des placements en détention provisoire. Ces derniers ne pourront être ordonnés que si les obligations du contrôle judiciaire ou de l’assignation à résidence avec surveillance électronique se révèlent insuffisantes.

A noter, une autre amélioration extrêmement importante concernant la durée maximale du placement en cellule disciplinaire. Alors qu’auparavant, selon la gravité de la faute commise, la durée du placement était de 45, 30 ou 15 jours, désormais, ces durées sont réduites à 21, 14 ou 7 jours. La durée du placement peut toutefois être portée à 40 jours pour tout acte de violence physique contre les personnes (article 53 du projet de loi).

Si ce projet de loi contient des avancées, il est aussi critiquable à certains égards. Ainsi, il écarte le principe de l’encellulement indviduel. Il s’agit d’un principe pourtant fondamental afin que soit préservée l’intégrité mentale mais aussi physique des détenus, tel qu’en témoigne le drame survenu à la Maison d’arrêt de Rouen le 11 septembre 2008. Pourtant, l’article 59 du projet de loi prévoit à nouveau la possibilité d’y déroger pendant 5 ans, au motif que la distribution intérieure des Maisons d’arrêt ou le nombre de détenus présents en rend l’application illusoire.

Le Conseil de l’Ordre a adopté à l’unanimité dans une résolution un certain nombre de dispositions (bulletin du Barreau de Paris n° 34 du 7 octobre 2008). Il souhaite notamment qu’un numerus clausus fixe le nombre de places dans chaque établissement qui ne pourra être dépassé. S’agissant des droits de la défense, il demande qu’une véritable juridiction impartiale soit créée afin de juger le contentieux de la détention (infraction disciplinaire, isolement, droit au téléphone etc.) et que, à tout le moins, l’avocat soit informé et puisse faire valoir ses observations lorsqu’une décision administrative faisant grief à un détenu est envisagée. Il souhaite également que les détenus puissent s’entretenir par téléphone avec leur avocat dans des conditions garantissant la confidentialité et que les avocats puissent rendre visite à un détenu sur seule présentation de leur carte professionnelle. A l’heure où le premier centre de rétention de sûreté a ouvert ses portes, il regrette, et nous ne pouvons que le déplorer également, que les mesures de soins envisagées dans le cadre de la rétention de sûreté ne soient pas rendues obligatoires par la loi dès le début de l’incarcération. Ces mesures semblent être un minimum, mais ce minimum n’est pas encore garanti et malgré les avancées du projet de loi, il reste un long chemin à parcourir. A certains égards, notamment en ce qui concerne la place de l’avocat dans le système carcéral et donc les droits de la défense, le législateur aurait sans nul doute pu aller plus loin...

Si ces souhaits n’ont à ce jour pas été entendus, à la suite de plusieurs réunions avec la direction de l’administration pénitentiaire, les représentants de la profession d’avocat ont obtenu de pouvoir entrer dans les établissements pénitentiaires avec leur ordinateur portable professionnel, facilitant d’autant la consultation de leur dossier par les détenus. Sous certaines conditions toutefois, à savoir le passage de l’ordinateur sorti de sa housse dans le système de contrôle de bagage X, la désactivation de toutes les technologies sans fils intégrées, l’inscription de l’entrée puis de la sortie de l’ordinateur sur un registre, l’impossibilité d’apporter des supports de stockage, mis à part le CD Rom remis par la juridiction contenant le dossier du détenu. Sait-on jamais, avec ces avocats, visiblement, on n’est jamais trop prudents...

Face à la crise économique actuelle, l’examen du projet de loi pénitentiaire a été reporté au premier trimestre 2009... A suivre attentivement...

Djinn Quévreux, Promotion Abdou Diouf, série J
Dessin d’Aurore Anaya


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