LE BAROMETRE

L’Observatoire International des Prisons DENONCE !

mardi 6 janvier 2009 par Aminata Niakate

Dans une résolution du 17 décembre 1998, le Parlement européen a invité les États membres à se doter d’une « loi fondamentale sur les établissements pénitentiaires ». Face à une situation pénitentiaire calamiteuse, un contexte de surpopulation accablante et une évidente nécessité de restaurer l’état de droit en prison, le Garde des Sceaux brandit enfin le tant attendu projet de loi pénitentiaire.

Réelle avancée ? Poudre aux yeux ? Opération de communication ? Le Baromètre a voulu en avoir le cœur net s’est rendu à l’Observatoire International des Prisons (OIP). Hughes de Suremain, juriste de la section française de l’OIP, a bien voulu nous recevoir et relire avec nous ce texte.

Une Commission présidée par Guy CANIVET, ancien Premier Président de la Cour de Cassation, s’était vu confier, par Elisabeth GUIGOU, Garde des Sceaux de 1997 à 2000, la direction d’un groupe de travail ayant pour mission de réfléchir sur les moyens d’améliorer le contrôle extérieur des établissements pénitentiaires. Le rapport remis le 6 mars 2000 concluait, outre au besoin impérieux de mettre en place un tel contrôle, à la nécessité de prévoir une loi pénitentiaire ayant pour objet de définir les missions de l’administration pénitentiaire, le statut du détenu et ses conditions générales de détention.

L’exposé des motifs du projet de loi pénitentiaire aujourd’hui proposé par le gouvernement prétend répondre à ces attentes. Hughes de Suremain, juriste de l’OIP, nous a aidé à faire le point sur certaines des propositions du projet de loi pénitentiaire.

Hughes de Suremain nous rappelle, tout d’abord, que l’un des premiers constats du rapport de la Commission présidée par Guy Canivet est que la prison est un espace de la République soustrait aux règles de fonctionnement normal des institutions démocratiques. Le droit commun applicable en dehors étant étranger au monde carcéral, un droit parallèle existant à l’intérieur.

Ainsi, en pratique, la personne détenue, censée jouir de toutes ses libertés et droits fondamentaux, à l’exception de sa seule liberté d’aller et venir, se voit susceptible d’être privée par l’Administration pénitentiaire, d’un nombre incommensurable de droits et libertés fondamentaux pour des raisons de sécurité et de limitation de risques d’évasion, et cela sans le moindre contrôle externe et sans le moindre cadre normatif légal prédéfini, en total mépris avec les règles de l’article 34 de la Constitution qui confère au législateur une compétence exclusive pour définir les libertés fondamentales.

En effet, "l’administration pénitentiaire détermine elle-même, notamment, par voie de circulaire, ses propres règles de fonctionnement ainsi que les règles qu’elle est censée respecter", nous fait observer Hughes de Suremain. " Le problème qui affecte le droit pénitentiaire et auquel la loi pénitentiaire avait pour charge de répondre était de rétablir un ordonnancement juridique pyramidal qui serait conforme à l’article 34 de la Constitution et restituerait à la loi son domaine. "

Or, "le projet de loi pénitentiaire, est un texte élaboré en vase clos au sein de l’administration pénitentiaire par le bureau de la réglementation pénitentiaire", regrette Hughes de Suremain. "On reste dans une logique où les personnes chargées d’appliquer les textes sont les mêmes personnes qui les élaborent. La volonté de l’administration pénitentiaire est d’avoir un "beau texte" qui vient entériner les évolutions de ces dernières années et les décisions qu’elle a elle-même prises par voie de circulaires. Cette loi pénitentiaire n’est en réalité qu’un appui pour les chefs d’établissement dans leur façon de procéder".

Le Garde des Sceaux a effectivement pu préciser que l’un des objectifs de ce projet de loi était de renforcer l’action des personnels pénitentiaires, en lui donnant un cadre législatif. Le projet de loi pénitentiaire se contente donc de proposer de donner une valeur législative à des dispositions réglementaires préexistantes restreignant les droits et libertés fondamentales des personnes détenues. D’ailleurs, à de très nombreuses reprises, la teneur du projet de loi se réduit à un renvoi à une fixation ultérieure des règles applicables par voie de décrets, laissant ainsi, de nouveau, à l’Administration pénitentiaire, le soin de prescrire les normes applicables en milieu carcéral.

Hughes de Suremain critique également la teneur extrêmement laconique des dispositions du projet de loi pénitentiaire. Il cite l’exemple des fouilles qui, si elles doivent être effectuées dans le respect de la dignité de la personne humaine, ne voient leur régime nullement précisé. Elles semblent pouvoir intervenir à tout moment, le texte ne faisant mention d’aucune limite. Le projet de loi ne précise pas non plus s’il est question d’intrusives fouilles corporelles à nu ou de simples palpations, il se contente de prévoir que "la nature et la fréquence des fouilles sont adaptées aux circonstances de la vie en détention, à la personnalité des détenus et aux risques que leur comportement fait courir à la sécurité des personnes et au maintien de l’ordre dans les établissements". A la lecture de ce texte, l’Administration pénitentiaire dispose de toute latitude pour procéder à une fouille et le seul rappel du droit au respect de la dignité de la personne humaine est bien trop nébuleux pour assurer une garantie palpable.

Autre point noir du projet de loi relevé par l’OIP : la différentiation des régimes de détention (régime fermé ou strict, régime semi-ouvert ou régime ouvert). Selon Hughes de Suremain, ouvrir la possibilité de régimes de détention dont l’intensité de la contrainte varierait en fonction de l’appréciation subjective que porterait l’Administration sur le comportement d’un détenu, et sans exercice d’un contrôle extérieur, donnerait un pouvoir redoutable à l’Administration pénitentiaire et serait un facteur d’arbitraire considérable, d’autant plus que ces appréciations peuvent avoir des incidences sur les réductions de peines et autres permissions de sorties. "Il faut voir les documents internes", ajoute t’il, "il est tout le temps en retard, il ne dit pas bonjour, il a mis une serviette à sa fenêtre". Autant de fondements pour l’application d’un régime ou un autre.

L’OIP, qui reconnaît cependant certaines avancées au projet de loi, notamment en matière d’aménagements de peines, réclame ainsi l’abandon de toute la partie de la loi se rapportant au fonctionnement interne de l’administration pénitentiaire.

L’OIP prône la solution d’une politique pénale déflationniste et souhaiterait que, comme en Finlande où la population carcérale a pu être divisé par deux sans hausse de la criminalité, la durée des peines et le champs des infractions susceptibles d’incarcération soit repensé. Augmenter le nombre de parcs carcéraux n’est certainement pas une solution.

Aminata NIAKATE, Promotion Abdou DIOUF, Série S.

Merci de rajouter la photo de Hughes de Suremain ! A+ Aminata

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