LE BAROMETRE

L’embryon et le législateur

vendredi 18 juillet 2008 par Cécile Beilvaire

Les lois bioéthiques de 1994 et de 2004 ont élaboré un cadre juridique entourant l’Assistance Médicale à la Procréation (AMP). Un débat parlementaire à ce sujet s’approche. 2009 sera une année de réflexion quant aux notions d’embryon, de fœtus, de mère porteuse et d’anonymat…

« Conférences sur l’embryon, le fœtus et l’enfant organisées les 17 mars, 17 avril et 16 mai 2008 par l’Institut du Droit de la Famille et du Patrimoine et l’Académie Nationale de Médecine. Les organisateurs du cycle de conférences ont voulu permettre au plus grand nombre d’assister à ce colloque, et ont dès lors décidé d’octroyer un certain nombre de bourses de participation au cycle de conférences. »

C’est comme ça que ça a commencé…

Actuellement en PPI en entreprise, plus précisément au service contentieux d’un constructeur automobile, je surfe pendant une pause bien méritée sur le site de l’AEA. Après m’être perdue sur le site des Anciens Elèves de l’école de l’Air, je trouve le chemin vers le club d’œnologie pour chercher la prochaine date de dégustation. Mais une annonce m’arrête… « L’embryon, le fœtus et l’enfant », titre qui me laisse songeuse et curieuse. J’avais entendu parler des trois arrêts du 6 février 2008 [1] dans lesquels la Cour de Cassation permet à un couple ayant perdu un enfant in utero (ou un embryon ? un fœtus ?), en deçà des seuils de viabilité, de se voir délivré « un acte d’enfant sans vie ». Les associations anti-avortement crient victoire, tandis que certains médecins, juristes et représentants de la société civile s’inquiètent un peu du risque que comporte ce type de décision. Elle n’est pas la première à perturber le monde du droit et notre société.

Entre reconnaissance de la douleur des parents « en devenir » et l’impossibilité pour les juges de se prononcer sur le statut de l’enfant à naître, mon cœur balance. Alors je détaille l’annonce. Un colloque, c’est cool, mais c’est payant, non ? Et bien oui, mais non ! Il est possible pour les étudiants de l’EFB, notamment, d’obtenir une bourse de participation en adressant à Maître Catherine PALEY-VINCENT [2] Cv et lettre de motivation. Faut-il ajouter qu’avec mon profil droit de la concurrence, seul l’espoir me semblait permis.

Et bien, j’ai eu cette chance, et contre mon engagement de participation aux trois journées ainsi que la rédaction d’un article, je m’échappe du droit des contrats et participe, oreilles grandes ouvertes, aux débats entre des médecins praticiens de l’AMP [3] , des sociologues qui s’interrogent sur notre nouvelle perception de la « procréation », et des juristes qui hésitent entre libéralisme, silence et conservatisme.

La perspective de la réforme de la législation bioéthique en 2009 est au cœur de ce débat. Ce thème touche au plus près à l’humain et nous concerne tous, embryon, fœtus et enfant que nous étions, parents que serons bon nombre d’entre nous.

Contexte législatif. Les questions bioéthiques relatives à l’assistance médicale à la procréation dans son ensemble ont commencé à se poser dans les années 90. Par la loi du 29 juillet 1994, sous l’influence du Professeur MATTEI, à la fois pro-bioéthique et fervent défenseur du respect des valeurs religieuses, le Législateur proposait une position intermédiaire, ni conservatrice, ni libérale ; mais surtout prudente. Le refus d’instrumentalisation était prépondérant. L’assistance médicale à la procréation sous ces différentes formes (dons de gamètes, FIV) était donc autorisée, mais la recherche sur l’embryon toujours prohibée. En 2004, l’utilitarisme s’impose sous l’influence des systèmes étrangers. Les souhaits des médecins, et l’espoir de recherches sur les cellules souches, sont entendus par le Législateur. La loi 6 août 2004 reste dans la continuité de la loi de 1994, mais prévoit une dérogation à titre expérimental concernant la recherche sur les embryons. Cette recherche est toutefois soumise à des conditions strictes et limitée à une durée de 5 ans.

Le législateur a alors choisi de ne pas être le porte-parole d’une conviction particulière. Il n’a donc pas défini ce qu’était un embryon, ni un fœtus. Si à l’époque, cette position est apparue comme la plus juste, l’essentiel étant la régulation des pratiques et non la définition des notions, cette omission volontaire pose aujourd’hui problème, et suscite les critiques de nombreux opposants aux convictions et aux fins variées.

Outre cette absence de définition de l’embryon et du fœtus, les lois bioéthiques de 1994 - comme de 2004 - ne prévoient pas un traitement juridique différent entre l’embryon in vitro et l’embryon in vivo. La loi ne traite que des modalités pratiques entourant l’embryon in vitro. Cette problématique du statut juridique (sauf à vouloir soutenir la théorie des associations contre l’avortement) se pose donc essentiellement pour l’embryon in vitro [4]. En effet, l’embryon in vitro existe grâce à l’intervention d’un tiers (le médecin). Les embryons surnuméraires posent le problème de l’autorisation de la recherche sur eux. Seul l’embryon in vitro peut se retrouver au centre de questionnements portant sur des « cas limites ». Par exemple, dans le cas d’un embryon non implanté ayant perdu un parent : que fait-on d’un embryon in vitro dont le « père » vient de décéder, si la mère demande une AMP ? Que fait-on des embryons surnuméraires ? Peuvent-ils « servir » à un couple sans embryon ayant un projet parental ? Si médicalement l’embryon passe au stade de fœtus après deux mois ou 60 jours, s’il est « viable » au bout de 22 semaines, juridiquement son statut reste inchangé.

Alors, « qui » est l’embryon – ou qu’est ce que "l’embryon" ? L’embryon est l’enfant en devenir aux yeux des parents. Il a déjà des parents et à ce titre n’est pas un objet. Il est au centre d’un « projet parental » selon les termes de la loi, projet parental qui est le déclencheur de l’AMP. Toutefois, du fait de la législation même, l’embryon est traité en partie comme un objet : les embryons sont « sélectionnés », on peut souligner l’utilisation du « bébé-médicament » et la dégradation du statut de l’embryon sans projet parental. Par exemple, pour le devenir des embryons surnuméraires, la loi s’en remet aux parents : c’est à eux de choisir s’ils renoncent à être parents afin que l’embryon serve pour la recherche ou pour un autre couple. Toutefois, il est intéressant de souligner que le législateur n’a pas voulu qualifier cet acte de renoncement de « don », notion juridique qui entrainerait irrémédiablement la qualification de chose pour l’embryon [5].

Lors des débats, un parallèle avec les produits du corps humain a été proposé. Pourquoi traiter l’embryon différemment sur quel motif ? La question, posé par le médecin du débat, a soulevé bon nombre de réactions choquées, et pourtant non expliquées de manière raisonnable. L’embryon c’est différent, c’est une valeur différente entend-on. Mais laquelle ???? La réintroduction du terme valeur montre à quel point ce débat est difficile. Sang, ovocyte, rein, moelle osseuse… de prime abord, le parallélisme est intéressant mais rencontre une difficulté biologique, l’embryon n’est pas le produit d’UN humain qui pourrait faire usage de sa propre volonté sur celui-ci, mais de la rencontre entre deux produits. Le mécanisme du passage de l’embryon au fœtus échappe aux médecins. Qui dispose de la volonté sur l’embryon mis à part les parents ? [6]

Pourtant, l’embryon traité en partie comme un objet, est un être humain. Ce qualificatif reste indiscutable, et n’est pas discuté [7]. On parle d’embryon humain [8]. A ce titre, il est digne de respect et de protection, sans pour autant bénéficier de la protection de l’article 16 du Code civil. L’embryon n’est pas seulement et simplement un objet car son avenir ne peut être un projet de recherche, une transaction commerciale ou un brevet. Ainsi, le recours à la fécondation in vitro ne peut avoir lieu que dans un cadre très précis : dans le cadre d’un projet personnel, donc toujours en vue d’une naissance. Aujourd’hui, en France, l’AMP n’est utilisée que comme un traitement médical contre l’infertilité et comme mode de prévention de maladie, et non un nouveau mode de procréation. Elle n’est donc accessible qu’aux couples hétérosexuels, en âge de procréer, ayant au minimum 2 ans de vie commune (temps nécessaire à établir l’infécondité pathologique d’un couple). Elle n’est donc pas accessible aux couples homosexuels, ni aux femmes seules, même stériles.

L’embryon humain est-il une Personne ? A partir de quand est-on juridiquement (et socialement… ?) une Personne ? Le seuil actuellement reconnu, le seul, est la naissance. La naissance reste le commencement de la personnalité juridique et donc de la filiation, de la patrimonialité, de la capacité.

Il est tentant de vouloir qualifier un fœtus (ou embryon) de personne humaine puisqu’il existe indéniablement un penchant affectif pour la personnification de l’embryon car il porte la potentialité de l’enfant à naître. Il est déjà « le patient » pour le médecin et déjà « l’enfant » pour les parents. Toutefois, si l’embryon était qualifié de personne, il serait toujours sans personnalité juridique ; et si le législateur lui octroyait une personnalité juridique, quel sens cela aurait-il sans efficacité, car sans faculté de l’exercer ? Le dualisme de qualification que connaît notre système entrainerait logiquement le juriste à qualifier l’embryon d’objet si il n’est pas sujet, de chose si il n’est pas une personne.

Le droit est donc clair dans son absence de prise de position : si l’embryon n’est pas encore sujet de droit il est digne de protection car il est embryon « humain ». A ce titre, il n’est pas un objet, ni un regroupement de choses. Le législateur a donc choisi une voie médiane puisque l’embryon, parce qu’ humain, est donc sujet au respect, sujet de respect mais pas sujet de droit [9]. Un des intervenants du colloque a proposé en conclusions les termes suivants : l’embryon, une « chose ayant une protection spéciale prenant en compte son humanité » [10]. Toutefois, nous sentons tous l’insatisfaction d’une telle définition.

Si « la valeur d’un homme se mesure à la quantité d’incertitudes qu’il peut supporter » [11], le statut de l’embryon, ou son absence de statut ne me semble pas en lui-même problématique, puisque qu’il dépend sans doute de la vision de notre société à un temps « T ». Choisir de la figer légalement serait rassurant mais ne résoudrait pas les questionnements éthiques y afférents. Par contre, il est captivant de remarquer les conséquences de cette incertitude, notre (in)capacité à gérer médicalement, socialement, juridiquement l’absence de définition. Cette incapacité concerne tant législateur, que juges, sociologues, médecins. Incertitude qui pourrait, peut être, pousser à prendre des décisions bancales, hâtives ou non satisfaisantes juste pour avoir UNE réponse ?

[1] 06-16.498, 06-16.499 et 06-16.500, arrêts n°128, 129 et 130, 1ère Civ., C.Cass

[2] Du Cabinet GINESTIE MAGELLAN PALEY-VINCENT

[3] Assistance Médicale à la Procréation, précédemment nommée Procréation Médicalement Assistée

[4] Embryon entre 1 et 5 jours

[5] Néanmoins, même dans le cadre d’un projet parental, n’est-il pas « objet » de ses parents car son sort ne dépend que d’eux. Nous pouvons donc nous interroger : en quoi cela le distingue de l’embryon in vivo finalement ?

[6] En effet, l’embryon crée in vitro comme l’embryon naturel ne sont soumis qu’à une volonté, celle commune des parents ou celle de la mère

[7] A juste titre ?

[8] Est-ce une tautologie ?

[9] Arrêt 7 mars 2006 de la CEDH : refuse l’application du droit à la vie et à l’intégrité du corps humain à un embryon

[10] Professeur Gérard LOISEAU

[11] Nietzsche


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