LE BAROMETRE

La crise des subprimes

vendredi 4 juillet 2008 par Jean Philippe Lodugnon

Vous n’en avez pas entendu parler ? Impossible, même pour le juriste sans écran de télévision et boycottant la Tribune, d’ignorer que l’économie mondiale traverse une crise. On serait tenté d’ajouter : « une crise sans précédent ». Mais ce ne serait pas tout à fait exact.

Malgré une présentation de la crise financière qui l’apparente à un coup du sort comparable à une catastrophe naturelle relevant de la fatalité, la réalité se rapprocherait plutôt de celle d’un pari qui aurait mal tourné. La question est donc la suivante : qui a été trop optimiste ?

La version simple pour l’élève avocat qui ne se passionne pas pour les conventions ISDA, les forwards et autres put et call est assez difficile à trouver dans la quantité d’articles qui s’étendent sur les impacts, les rebondissements et les palliatifs à cette crise. La crise des subprimes expliquée à ma fille ce serait : Imaginez un organisme qui octroierait gentiment un prêt à un emprunteur sans apport et sans garanties sur sa solvabilité (pour rendre l’image plus parlante, visualisez-le chantant « don’t worry, be happy »). Inimaginable ! On ne prête qu’aux riches ! Pas si sûr…

Notre point de départ est donc les Etats-Unis, où des crédits furent accordés à des emprunteurs peu solvables afin de leur permettre de financer l’acquisition de biens immobiliers ou de véhicules automobiles. La facilité par laquelle ces crédits étaient « distribués », contrastant avec la pratique des établissements bancaires, trouvait son explication dans le fait que leur octroi était délégué à des organismes rémunérés à la commission.

Les banques ne reprenaient la charge du crédit que pour fournir le cash. Le calcul des banques était le suivant : puisque les emprunteurs présentaient plus de risques, il leur serait imposé un taux d’intérêt plus important [1], et en cas de difficultés ou d’impossibilité de rembourser, les biens financés (qui constituait l’unique garantie du crédit) seraient alors revendus. Dans un marché immobilier en constante hausse, le calcul était bien vu. Nous étions en 2006.

A ce stade, il ne s’agissait pour les banques que d’erreurs stratégiques. Pas de quoi provoquer une crise financière mondiale me direz-vous. Il aurait fallu s’arrêter là, et ne pas chercher à transformer ce qui n’était alors que des créances de mauvaise qualité en titres financiers présentés comme ultra-sophistiqués (ce qu’ils étaient) et ultra-sécurisés (rien de moins sûr). C’est malheureusement ce qu’ont fait les banques assistées… d’avocats.

Pour les établissements bancaires, il s’agissait de trouver une méthode permettant de se refinancer et de transférer les risques attachés aux crédits subprimes à des tiers. Par quel tour de magie ? Tout d’abord, pour le cabinet conseil de la banque, en faisant sauter ses week-end et en travaillant sur la documentation de l’opération tous les soirs jusqu’à 2h du matin.

Puis à l’issue de ce long (et coûteux) processus, les créances de la banque sur leurs emprunteurs étaient transférées à un véhicule ad hoc [2] localisé en Irlande ou à Guernesey (pour prendre les destinations les moins exotiques), les faisant sortir des comptes des banques. Les créances représentant ces crédits étaient alors regroupées en 3 tranches : les bonnes, les moins bonnes et les mauvaises. Les titres émis et représentant ces créances s’appuyaient également sur ces différentes tranches.

Le contrat d’émission des titres prévoyait que soit versé un taux d’intérêt inversement proportionnel à la qualité de la tranche [3] (toujours ce taux d’intérêt qui aurait une vertu magique de couverture du risque). Présenté comme un moyen d’accroître la sécurité de l’investisseur, les deux premières tranches pouvaient être assurées par des compagnies d’assurances [4].

Cette superposition de mécanisme de protection permettait aux titres émis par les véhicules ad hoc d’obtenir les notes maximales de la part des agences de notations [5]. On venait de transformer des crédit hypothécaires douteux en titres financiers hyper sûrs. Bravo !

Les subprimes et l’attirail qui leur était superposé étant maintenant présentés, il devient alors plus aisé de comprendre la logique de la crise des subprimes, savant mélange de plusieurs évènements qui vont réussir à faire paniquer les marchés financiers.

Le déclencheur fut le cocktail entre chute du marché de l’immobilier et hausse du taux d’intérêt de la Fed [6]. Dans un contrat de crédit prévoyant l’usage d’un taux d’intérêt variable, ce qui est un avantage se transforme assez rapidement en inconvénient si l’emprunteur se retrouve confronté à la mauvaise variation. C’est ainsi que les emprunteurs déjà peu solvables, se sont retrouvés confrontés à une hausse du montant de leur mensualités.

Les effets ne se firent pas attendre donnant lieu à des défauts de paiements en chaîne. Que dire alors aux détenteurs de titres émis par ces véhicules de titrisation ? Se tourner vers le mécanisme des tranches étanches qui, face à des défauts en chaîne, étaient toutes aussi vides les unes que les autres ? Actionner les compagnies d’assurances qui face à l’ampleur des sommes, ne pouvaient couvrir ce à quoi elles s’étaient engagées ? Ou alors vers les agences de notation qui ne pourraient rien faire d’autres que répondre : « désolé, nous nous sommes trompés » ?

L’impact international de cet évènement pourtant national s’explique par le fait que ces titres, jugés trop complexes pour l’investisseur américain moyen, furent souvent offerts à des investisseurs étrangers. L’exemple américain fit naître une méfiance générale à l’égard des créances titrisées (sans réelle distinction du sous-jacent y étant adossé [7]), ainsi qu’à l’égard des structures susceptibles d’en détenir [8]. Tous les détenteurs cherchèrent alors à se débarrasser de ces titres par une revente massive dont le but était d’obtenir de la liquidité à la place. Mécaniquement, et étant donnée la situation, le prix de liquidation de ces titres baissa du fait du jeu de l’offre et de la demande jusqu’à ce qu’il ne soit plus possible de les liquider par manque d’acheteurs. C’est à ce moment-là que les choses commencent à aller très mal. Quand les banques n’arrivent plus à obtenir des liquidités à court terme, elles risquent de manquer de liquidité et d’assécher tout le système bancaire et financier.

C’est par crainte de cette situation que de nombreuses Banques centrales ont préféré intervenir en injectant des liquidités sur leur marché [9]. La Fed, contrairement à la Banque Centrale Européenne par exemple, ira jusqu’à baisser ses taux [10], permettant également aux banques de se refinancer directement auprès d’elle.

Malgré ces tentatives, il n’en reste pas moins que cette crise des subprimes aura déjà couté 11 milliards d’euros en 2007, et provoqué une baisse de 20% du résultat brut d’exploitation des 6 premières banques françaises. Elle met fin à une époque où quasiment toute dette semblait bonne à acquérir et à revendre par la magie de la titrisation.

La crainte actuelle demeure dans le fait qu’il semble que les conséquences de cette crise soient encore à venir. Les agences de notation, qui autrefois se prononçaient sur les risques des créances titrisées [11], s’expriment aujourd’hui sur le recul des résultats des banques à prévoir en 2008, essentiellement dans leurs activités de banque de financement et d’investissement.

Pari qui a mal tourné alors ? Les mathématiciens nous expliqueront qu’on ne peut inclure dans une formule sensée prévoir le futur, l’aléa d’une catastrophe, ou un changement radical sur le marché, sans quoi la démarche même n’a plus d’intérêt. On ne peut donc prévoir l’imprévisible, et par conséquent celui-ci n’existe plus. Que d’optimisme…

On peut toutefois se demander si de notre côté nous sommes tous tenus d’adopter cette approche. Par « nous », il faut comprendre les juristes pour qui l’optimisme n’est certainement pas une qualité indispensable. Le juriste n’est-il pas celui dont on évalue l’efficacité et le professionnalisme par l’inquiétude qu’il crée chez son client, ou par le frein qu’il met dans la structuration d’une opération ? Notre pessimisme n’est-il pas cette qualité qui, en nous faisant toujours imaginer le pire, nous permet de nous en prémunir ? Récemment, la question de la responsabilité des juristes a été soulevé à l’instar de celles de nombreux autres acteurs [12] du marché de la titrisation. Il est vrai que la documentation de ces opérations fut toujours l’œuvre d’avocats travaillant en collaboration avec les juristes des banques concernées. Comment ont-ils tous pu être contaminés par ce vent d’optimisme et cette euphorie de la titrisation au point d’oublier de souligner le risque que pouvait représenter dans certaines structures, le défaut d’une des parties ?

Quoiqu’il en soit, le constat est qu’aujourd’hui l’activité de titrisation est au point mort en France, et lorsque de rares opérations réussissent à se faire, elles sont bien plus coûteuses qu’auparavant. Du côté des techniques de financement plus classiques, le bilan n’est pas plus optimiste. Les banques étant affaiblies, elles octroient plus difficilement leurs financements et fuient les opérations à risque de type LBO (enfin un sigle portant le label « VU à l’EFB »).

On entend déjà les craintes des élèves avocats qui se sont toujours imaginés en « business lawyers » sur des opérations faisant la Une des « Echos ». Malgré le ralentissement que l’on observe clairement dans les groupes financement des cabinets d’avocats, la France n’a pas de subprimes et une fois que la tempête mondiale se sera calmée, un redémarrage de l’activité est à prévoir. Un peu d’optimisme !

Jean-Philippe Lodugnon, Promotion DIOUF

[1] Les emprunteurs remboursant d’abord des mensualités représentant les intérêts avant de s’attaquer au remboursement du capital emprunté

[2] Entité juridique, souvent sans personnalité morale pouvant acquérir des créances et émettre des parts les représentative de ces créances. On les utilise pour isoler les risques financiers (fiscaux, règlementaires ou encore les procédures collectives)

[3] Autre sécurité pour l’investisseur acquérant les titres : chaque compartiment était étanche, et les meilleurs créances donnaient lieu à un versement prioritaire des intérêts

[4] Les fameux « monoline insurers »

[5] Agence de notation financière que sont Fitch Ratings, Standard and Poor’s et Moody’s. Elles procèdent en toute indépendance à la notation d’entreprise et de collectivités selon des critères qu’elles publient

[6] Federal Reserve, c’est la Banque centrale américaine. Elle est décide de politique monétaire américaine, supervise le système bancaire et intervient comme prêteur de dernier ressort

[7] Puisqu’on ne titrise pas seulement des créances immobilières

[8] Essentiellement les fonds d’investissement, et les organismes de placement collectif en valeurs mobilières

[9] Concrètement cela signifie qu’elles achètent les titres dont personnes ne veut

[10] Baisse de 3% du taux d’intérêt directeur, et de 3,75% du taux d’escompte

[11] Ces agences qui aujourd’hui annoncent qu’elles vont revoir leurs méthodologie de notation des produits de titrisation, et qu’une baisse des notes des produits existant est à prévoir

[12] De Vauplane H., Crise du « subprime » : quelle responsabilité pour les juristes ?, dans Revue Banque, n°699, p.67


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