LE BAROMETRE

Interview de Pierre-Olivier Sur

vendredi 18 juillet 2008 par Nicolas Gardères

Au-delà du jeu et des plaisirs esthétiques consubstantiels à la plaidoirie, au-delà des apories de la Vérité et de la Morale, Pierre-Olivier Sur délivre une vérité essentielle : le rôle social de l’avocat est aussi d’être aux côtés des monstres.


  Comment êtes-vous devenu avocat ?

  J’avais deux modèles familiaux. Mon père et Tixier-Vignancour. J’ai été bercé par des histoires du palais et par les grands rêves de la défense. C’est dans ces conditions que j’ai fait des études de droit en même temps que des études de lettres, et que j’ai présenté l’examen du barreau, que j’ai réussi à 21 ans. Mon père n’a pas voulu que j’arrive au palais trop tôt. Il considérait que j’étais trop jeune. Là, j’ai fait science po, d’autres choses, puis j’y suis rentré quand même. C’était inscrit dans une sorte d’atavisme.

  Pourquoi vous être orienté vers le droit pénal ?

  Vous savez, au moment des rêves de l’adolescence, il y a une cristallisation sur la défense, la défense, la défense. J’ai fait mon stage chez Olivier Schnerb, qui est un extraordinaire avocat, en courage, en culture, en talent. Je suis alors passé des rêves à la technique, et au-delà de la procédure pénale brute, à la dialectique. C’est-à-dire aborder un problème et essayer d’y donner des réponses qui ne sont pas forcément celles de la vérité ou de la recherche de la vérité, mais d’abord celles de la défense. J’y ai vraiment appris mon métier d’une manière très complète et totale.

  Vos plaidoiries de pénaliste ne sont-elles pas aussi un moyen d’assouvir vos passions d’esthète ?

  Je crois que le métier d’avocat, tel que j’essaie de le pratiquer en tous cas, doit passer via l’esthétique qui est un vecteur de communication par le haut. Notre position entre la vérité et la défense commence par une esthétique. C’est la position de l’avocat dans la salle d’audience comme à côté du taureau dans l’arène au centre de tout. C’est éminemment esthétique. Et on en ressent le premier frisson au moment de revêtir la robe d’avocat après avoir franchi les portes du palais et avant d’entrer dans la salle d’audience.

  Vous évoquiez à l’instant la vérité, j’ai relevé dans une de vos interviews que vous considériez que « la vérité judiciaire n’a rien à voir avec la vérité pure ». Vous croyez à la vérité pure ?

  Non je pense que la vérité n’existe pas. J’en suis absolument convaincu. La vérité, c’est un miroir déformant sur la multitude des facettes d’une personnalité. Notre métier consiste à mettre le prisme vers telle ou telle facette et la projeter sur le tribunal. Pour le meilleur intérêt de la personne qu’on défend évidemment, mais pourquoi pas aussi pour le meilleur intérêt de la société. Car je suis convaincu que nous avons ensemble, avec le juge et le procureur, un pouvoir de transformation des personnes qui sont jugées, vers le meilleur d’elles-mêmes.

  Vous rejetez la vérité pure et évoquez les facettes de la vérité. Mais, que vous inspirent des approches de la vérité comme celle de Jacques Derrida, qui inscrit la possibilité de la vérité, de l’objectivité, dans une sorte de grand ensemble non transcendant, que serait la totalité de l’histoire humaine ? Les rejetez-vous aussi au risque de tomber dans le relativisme ?

  Vous me parlez de Derrida, moi je parle de Socrate. Socrate s’est opposé à Protagoras, parce que Protagoras était un sophiste et qu’il estimait qu’il existait plusieurs vérités, de telle sorte qu’il suffisait qu’il fut mandaté par un client, pour défendre cette vérité là. Protagoras est un avocat. Le premier des avocats. Socrate au contraire est venu opposer aux multiples vérités une vérité seule et unique. C’est la Vérité avec un grand V et c’est à cause de cela qu’il a été condamné à mort. Pour moi, cette condamnation à mort est justifiée. Je pense qu’il serait d’ailleurs très intéressant à l’école du barreau de rédiger le réquisitoire contre Socrate. Un réquisitoire pour une peine de mort philosophique évidemment !

  De la problématique de la vérité nous en venons naturellement à celle du mensonge. Un avocat a-t-il le droit de mentir ?

  Question passionnante ! Contrairement au droit anglo-américain, en droit français la personne poursuivie (ou poursuivante) ne jure pas de dire la vérité. Or, si elle ne jure pas de dire la vérité, c’est qu’elle a tous les droits : se taire, voire mentir. Quid de l’avocat ? Il est aux côtés de cette personne là et il porte sa vérité à elle. Oui nos clients ont le droit de mentir, et nous avons donc le devoir de les suivre, si c’est la voie qu’ils nous imposent. Se pose alors la question de notre devoir de conseil. Est-ce que nous devons conseiller à nos clients de mentir ? La réponse est ici beaucoup plus nuancée. Ce n’est pas une position morale, c’est une position utilitaire : est-ce que c’est utile pour mon client ? 9.9 fois sur 10, ça se retournerait contre lui de mentir et donc 9.9 fois sur 10 je lui dirai : « votre position est absurde et les juges vont vous le faire payer très cher ». Ce qui m’intéresse dans mon métier, c’est à l’image du sculpteur avec de la glaise, fondre le vrai et le faux pour donner aux magistrats du vraisemblable quitte à ce que la vérité judiciaire soit quelque peu décalée du fait brut, du bien le plus pur, et du mal le plus monstrueux que porte nécessairement le passage à l’acte… Quand vous rencontrez un gars au parloir de la prison, et que vous venez de prendre connaissance des faits, il faut lui raconter sa vie au gars, lui raconter son passage à l’acte, lui raconter une vérité utilitaire, la meilleure vérité possible (qui n’est peut-être pas tout à fait la sienne), celle qui ne choquera pas les faits et qui pourra s’intégrer dans une continuité entre sa personnalité, ses mobiles, son passage à l’acte, sa réhabilitation sociale future… Alors, je ne sais pas si c’est mentir ou dire la vérité. Je sais simplement que c’est prendre le meilleur du dossier et défendre un type qui a commis une infraction comme beaucoup d’autres auraient pu la commettre, en d’autres circonstances. C’est un travail magnifique.

  Et les 0.1 fois sur 10 ?

  C’est le pédophile qui va nier contre l’évidence. Vous lui dites 10 fois que c’est absurde. Votre client n’est pas complètement idiot. Il est directeur d’école et continue à nier contre l’évidence. Pourquoi ? Evidemment pour préférer le syndrome du capitaine Dreyfus vis-à-vis de sa famille, c’est-à-dire le syndrome de l’erreur judiciaire, plutôt que le syndrome du monstre. Il va donc nier contre l’évidence pour pouvoir dire à ses enfants : « je ne suis pas un monstre, c’est l’erreur judiciaire qui est monstrueuse, vous devez donc continuez à m’aimer, je suis une sorte de martyr… » La personne que vous assistez doit ainsi penser à l’efficacité de sa défense vis-à-vis du juge, mais elle va aussi devoir se projeter par rapport à sa famille, et mettre le tout en balance. C’est ainsi que vous pouvez être obligé de plaider l’implaidable à ses côtés, c’est-à-dire de mentir. Mais ce mensonge là, il est utilitaire. Pour votre client il est peut-être vital. Songez que s’il avouait ses fautes, il perdrait sa femme et ses enfants… Si vous aviez refusé de mentir avec lui, et qu’après le verdict, puis le dernier parloir avec sa famille, il se suicidait ? Le supporteriez-vous ? Dans cette situation particulière, vous avez donc le devoir d’accompagner son mensonge pour le sauver. Vous allez essayer ainsi de faire comprendre aux juges et aux jurés, sans le dire vraiment, pourquoi l’accusé tient cette position indéfendable, et vous allez le faire de façon tellement subtile, que la famille ne comprendra pas que vous êtes en train d’avouer pour lui, à demi mots, ce qui ne sera accessible qu’à la Cour. Cet équilibre au bord du précipice, constitue la plus difficile et humainement la plus belle des plaidoiries.

  L’avocat se situerait par-delà le bien et le mal, au dessus de la morale ?

  Ma morale professionnelle passe par un symbole : la robe d’avocat. Elle instaure un mur entre ma morale et mon client. Elle est une armure. Je ne suis pas mon client et à la fois, je suis au-delà de moi-même pour le défendre jusqu’au bout.

  Vous avez déjà refusé une cause ?

  Oui, une fois, en Iran. Je suis à Téhéran. On me demande de m’asseoir sur le banc de la partie civile dans une affaire de terrorisme. L’accusé a reconnu les faits, me dit-on, je pense qu’il a peut-être été torturé… L’accusé sera condamné à mort, me dit-on, alors je pense à la pendaison sur la place publique, au sens de ma vocation d’avocat, à Badinter….

  Et Fourniret ?

  Comment faudrait-il défendre Fourniret ? – car j’accepterais évidemment de le défendre. Et s’il fallait choisir, j’assisterais aussi sa femme. Comme vous le savez, Fourniret est aujourd’hui poursuivi pour avoir tué et violé sept jeunes filles. Sept, comme le chiffre des victimes du Minotaure. On se souvient que le monstre avait passé un pacte avec le Roi Minos pour qu’on lui sacrifie chaque année sept jeunes filles. A défaut, il serait sorti de son labyrinthe, et aurait fait des ravages jusqu’au palais de Knossos. C’est-à-dire qu’il aurait détruit l’ensemble de la société civile et son organisation. Le sens du pacte entre Minos et le Minotaure consiste à montrer qu’il y a un seuil d’insécurité en deça duquel on ne peut pas descendre. Une criminalité monstrueuse mais résiduelle qu’aucune politique pénale ne pourra jamais éradiquer. Quand on accepte de faire partie du contrat social, c’est-à-dire de vivre dans un groupe humain, on a toujours le risque d’être confronté au monstre : être poussé du quai, sous la rame du métro ; être écrasé ; sauter sur une bombe… L’Etat doit réduire au maximum ce risque. Mais il y a un seuil incompressible, et malheur à celui que le sort choisit et désigne pour remplir le rôle social du monstre. Celui-là, je le plains, comme je plains les familles des victimes. Oui, je suis prêt à plaider pour Fourniret.

  Vous évoquiez le rôle social des monstres. Que pensez-vous de cette phrase prononcée il y a quelques mois par Rachida Dati à l’Assemblée : « la rétention de sûreté, c’est la sûreté de tous au prix de la liberté de quelques-uns » ?

  C’est monstrueux ! Car c’est réaccepter l’hypothèse intellectuelle de la peine de mort donc de l’élimination, quitte à encourir le risque du « prix de la liberté de quelques-uns », voire de l’erreur judiciaire.

  Le bâtonnier notamment, s’est fermement opposé à la rétention de sûreté. Quel doit être le rôle de l’avocat dans l’espace public ?

  Avocat, c’est avocat toujours et partout. On a une profession qui nous donne une position dans la société, et qui nous impose un devoir de réflexion. La profession d’avocat nourrit d’ailleurs la haute politique. Tenez, que reste-t-il de Mitterrand ? D’abord, l’abolition de la peine de mort, c’est-à-dire le Mitterrand-avocat, donc le Mitterrand-Badinter. Ensuite, il reste, « ce qui reste quand on a tout oublié » : la culture, le talent, cette position de phare au nom de la langue française qui a brillé aux yeux du monde. Et puis il y a le Mitterrand de rupture, celui de l’alternance, pour que vive la Vème République, et celui de tellement de retournements sur soi-même – comme dans toute vie d’avocat… Et ce que nous aimons chez Sarkozy, qu’est ce que c’est ? Ce sont ses discours. De magnifiques discours. Avec une violence de conviction qui emporte tout. Une belle figure d’avocat pour l’ancien collaborateur du regretté Bâtonnier Guy Danet.


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