LE BAROMETRE

Déontologie et Délation : le face à face

mardi 17 juin 2008 par Aminata Niakate

La transposition imminente de la 3e directive « anti-blanchiment » remet au goût du jour la réflexion autour de la pertinence d’imposer aux avocats la souscription d’une déclaration de soupçon, lorsque ceux-ci participent à une opération susceptible de présenter des risques de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme.

1. Les principes de notre déontologie mis à mal par l’obligation de délation qui pèse sur l’avocat

"Je jure, comme Avocat, d’exercer mes fonctions avec dignité, conscience, indépendance, probité et humanité", tels sont les termes du serment de l’avocat.

A ces valeurs s’ajoutent des principes essentiels régissant la profession d’avocat, dont notamment le principe de loyauté, d’indépendance et le respect du secret professionnel.

Ces fondamentaux, repris dans le Règlement Intérieur National de la profession d’avocat (R.I.N.), font la spécificité du statut de l’avocat et sont l’assise de sa déontologie.

Or, la 3e Directive, en imposant une obligation de dénonciation vient rompre cet équilibre.

Indubitablement, cette obligation constitue une importante dérogation au secret professionnel, garanti par l’article 2 du R.I.N., qui interdit à l’avocat de dévoiler aux tiers les confidences qu’il reçoit de ses clients en gage de la préservation des intérêts de chacun.

Outre le secret professionnel, d’autres principes de notre déontologie sont mis à mal. Loïc Dusseau, Membre du Conseil de l’Ordre et Président du Conseil consultatif de la CARPA, a pu nous indiquer lesquels :

« C’est le principe essentiel d’indépendance qui, de notre point de vue, se trouve également bafoué dans la mesure où l’avocat, contraint de régulariser une déclaration de soupçon de blanchiment, se retrouve transformé, malgré le filtre du Bâtonnier, en véritable auxiliaire de Tracfin ».

Le principe d’indépendance garantit effectivement au client que son avocat ne sera jamais influencé par une pression extérieure, qu’elle soit morale, juridique ou économique.

A cet égard, il convient d’ailleurs de signaler que la question de la conformité de la directive au principe d’indépendance n’est toujours pas complètement tranchée. En effet, le Conseil d’Etat a refusé de soulever une question préjudicielle sur ce point, comme l’espéraient les requérants dans l’arrêt du 12 avril 2008.

« On pourrait en outre mentionner le principe de loyauté, ajoute Loïc Dusseau, qui s’applique également à l’égard des clients et qui est mis à mal par la suppression du tipping off prévue aux termes de la 3ème directive du 26 octobre 2005 qui est en voie de transposition, c’est à dire de la faculté que nous avons actuellement d’informer le client du dépôt d’une telle déclaration. »

En effet, le principe de loyauté exige de l’avocat qu’il respecte sa parole et s’abstienne de mentir, même par omission. En outre, il exclut qu’il induise en erreur son client en feignant de poursuivre leur relation d’affaire, le temps de permettre à Tracfin d’enquêter.

Ce constat nous conduit à l’interrogation suivante : ne pouvait-on renoncer à de tels sacrifices ?

2. Les garanties déjà offertes par notre déontologie propres à lutter contre le blanchiment

L’avocat est tenu de se montrer, en toutes circonstances, honnête, intègre et droit. Il doit aussi observer une certaine rigueur morale et de s’abstenir de tout comportement, professionnel ou privé, susceptible de porter atteinte à l’honneur de sa profession.

"Il est parfois difficile de résister à l’attrait de la perspective d’honoraires mirobolants ou à la pression d’un gros client."

Toutefois, les avocats sont susceptibles d’être utilisés et manipulés par leurs clients aux fins de blanchiment d’autant plus facilement qu’il est parfois difficile de résister à l’attrait d’honoraires mirobolants ou à la pression d’un gros client.

Les craintes des rédacteurs des directives anti-blanchiment sont ainsi assez compréhensibles, toutefois, notre déontologie ne propose-t-elle pas des moyens efficaces de lutte contre les fléaux que sont le blanchiment d’argent et le terrorisme ?

« Bien évidemment, nous assure Loïc Dusseau, puisque le principe de probité, prévu également par l’article 1.3 du Règlement intérieur, nous interdit de nous rendre complices des malversations éventuelles de nos clients ».

L’article 7.2 du R.I.N. interdit à l’avocat : « de participer à la rédaction d’un acte ou d’une convention manifestement illicite ou frauduleux », lui imposant de s’assurer au préalable de la licéité de l’opération pour laquelle il prête son assistance.

"LORSQUE LA CONFIANCE LAISSE PLACE A LA MEFIANCE PUIS A LA DEFIANCE, NOUS DEVONS NOUS DEPORTER DE L’AFFAIRE."

Lorsque la confiance laisse place à la méfiance puis à la défiance, nous devons nous déporter de l’affaire

Et si le soupçon naît au cours de la relation d’affaire ? - « Nos règles déontologiques nous commandent de nous retirer d’un dossier dans lequel nous n’aurions pu obtenir de notre client, dans le cadre de nos obligations de vigilance, les renseignements propres à nous assurer que nous ne participons pas à une opération de blanchiment. Lorsque la confiance laisse place à la méfiance puis à la défiance, nous devons nous déporter de l’affaire."

Notre déontologie offre d’autres garanties : « Nos obligations en matière de maniements de fonds via la CARPA, telles que prévues par l’article P.75.2 du Règlement intérieur, permettent un contrôle ordinal des règlements pécuniaires transitant par le compte de l’avocat, contrôle de nature à éviter les éventuelles opérations de blanchiments. »

Les instances ordinales jouent en effet un rôle essentiel. Le Conseil National des Barreaux prodigue dans son cahier spécial récemment refondu, des conseils de vigilance destinés à prévenir l’utilisation de la profession d’avocat aux fins de blanchiment. Loïc Dusseau nous a décrit comment l’Ordre des avocats et la CARPA pouvaient, quant à eux, aider les avocats que nous serons face à des clients qui tenteraient de nous manipuler à de telles fins :

"L’Ordre et la CARPA sont justement là pour aider les confrères dont la confiance aurait été trahie par leurs clients et qui, involontairement, se retrouveraient utilisés à des fins de blanchiment. Le fait de respecter votre obligation de faire transiter les fonds sur votre compte CARPA permettra à cette dernière, en cas d’opération particulièrement signalée en raison de la provenance ou du montant des sommes déposées, d’effectuer auprès de vous certaines vérifications et d’attirer, si nécessaire, votre attention sur le caractère éventuellement suspect de l’opération dans laquelle votre manque d’expérience ou de prudence vous auraient entraîné. L’Ordre, via son Bâtonnier ou ses membres, est là également pour vous écouter, vous conseiller et vous aider en cas de doute ou de difficulté de ce genre. N’hésitez pas à vous en rapprocher avant qu’il ne soit trop tard !"

On peut ainsi aisément comprendre les réticences des avocats à se soumettre à cette obligation de délation, qu’ils estiment être une précaution faisant double emploi avec celle qui incombe déjà aux banques, et notamment la BNP qui tient les comptes de la CARPA.

Loïc Dusseau, interrogé par nos soins au lendemain de l’arrêt rendu par le Conseil d’Etat relativement au décret d’application de la seconde directive anti-blanchiment, lequel redore, de manière mesurée, le blason du secret professionnel, nous a fait part de son sentiment personnel :

"L’arrêt qui vient d’être rendu par le Conseil d’Etat le 10 avril 2008 est certes encourageant mais ne règle nullement le problème de cette dangereuse brèche taillée dans le secret professionnel auquel nous sommes tenus à l’égard de nos clients. Je crois que c’est à Bruxelles que la profession devra obtenir la modification de la réglementation sur le blanchiment afin de tenter d’obtenir l’exclusion des avocats d’un tel dispositif de délation."

Aminata Niakate, Promotion Abdou Diouf, Série S


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