LE BAROMETRE
Spécial blanchiment : l’obligation de déclaration de soupçon en question

Première partie : quelles obligations pour les avocats ?

dimanche 15 juin 2008 par Laouen Mevellec

Le 15 décembre dernier, s’achevait le délai de transposition de la troisième directive 2005/60 du 26 octobre 2005 relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme. Ce texte abroge la directive 91/308 du 10 juin 1991, elle-même modifiée par la directive 2001/97 du 4 décembre 2001.
  • Enjeux

La dernière directive, adoptée dans le sillage des attentats de Madrid, vise à renforcer le dispositif de lutte contre le blanchiment dans le but de tarir les circuits financiers du terrorisme et du crime organisé. [1] Le blanchiment consiste à « obscurcir l’origine de fonds obtenus illégalement à travers une succession d’opérations financières, jusqu’au moment où ces fonds pourront finalement réapparaître sous forme de revenus légitimes » [2].

Or les avocats, au même titre que les banques, sont susceptibles de constituer un maillon essentiel dans ces opérations. Ils se sont donc vu imposer des obligations depuis la directive de 2001, entraînant des réactions virulentes des institutions représentatives de la profession. Sans anticiper sur la description du dispositif, précisons simplement que les avocats sont tenus, dans certaines circonstances, de dénoncer une opération (et un client) dont ils soupçonnent qu’elle réalise le blanchiment du produit d’une infraction.

Cette directive d’octobre 2005 doit être transposée en droit français incessamment. Dans cette perspective, un rapport a été remis aux ministres de la Justice et de l’Economie par MM. Yves Charpenel et Jean-Louis Fort en octobre 2007.

  • Champ d’application de la directive
    • Quant à la définition du blanchiment

Sont visés par la nouvelle directive la conversion ou le transfert en connaissance de cause de biens provenant d’une activité criminelle, entendue notamment comme la participation à « toute infraction punie d’une peine privative de liberté ou d’une mesure de sûreté d’une durée maximale supérieure à un an » [3].

Cette définition n’est pas sans soulever des critiques, que nous exposerons plus bas.

    • Quant aux activités de l’avocat concernées

La 3ème directive ne s’applique aux avocats que « lorsqu’ils participent, au nom de leur client et pour le compte de celui-ci, à toute transaction financière ou immobilière ou lorsqu’ils assistent leur client dans la préparation ou la réalisation de [certaines] transactions » [4]. Ces transactions consistent essentiellement :

* en la vente ou l’achat d’immeubles et d’entreprises ; * en l’organisation des apports nécessaires à la constitution d’une société.

Dans ce cadre, quelles sont les obligations de l’avocat ?

  • Contenu des obligations pesant sur l’avocat
    • Obligation de vigilance

En présence d’une opération parmi celles listées plus haut, une obligation de vigilance s’impose à l’avocat, notamment lorsqu’il noue une relation d’affaires ou qu’il réalise une transaction d’un montant de 15.000 Euros. Elle implique une vérification systématique de l’identité du client, l’identification du bénéficiaire effectif et l’obtention d’informations sur l’objet de la relation d’affaires envisagée [5]. Si l’avocat n’est pas en mesure de se conformer à cette obligation, il doit en principe refuser toute relation d’affaires et produire une déclaration de soupçons. La directive prévoit toutefois que les Etats membres peuvent l’en dispenser s’il agit dans le cadre d’une consultation ou d’une mission de représentation judiciaire [6].

    • Obligation de dénonciation

L’avocat, s’il sait, soupçonne ou a de bonnes raisons de soupçonner qu’une opération ou une tentative de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme est en cours ou a eu lieu [7], est tenu de souscrire une déclaration de soupçon. Interdiction lui est faite d’en avertir son client, sauf s’il s’agit de dissuader celui-ci de prendre part à une activité illégale [8].

Toutefois, la directive permet aux Etats (faculté devenue obligation suite à l’interprétation donnée par la CJCE [9] et le Conseil d’Etat [10]) d’exonérer les avocats de l’obligation de dénonciation pour ce qui concerne leur activité de consultation et de représentation dans une procédure judiciaire, que les informations soient obtenues avant, pendant ou après cette procédure.

Autrement dit, seule sera concernée l’activité de rédaction d’actes, pour certaines opérations limitativement énumérées. En cela, aucune évolution depuis la 2ème directive.

  • Les éléments nouveaux par rapport à la 2ème directive

Plusieurs évolutions importantes sont à noter. Elles cristallisent la contestation des avocats.

En premier lieu, la 3ème directive supprime la faculté de « tipping off » laissée aux Etats (possibilité pour l’avocat d’informer le client qu’il fait l’objet d’une déclaration de soupçon). Cette faculté avait été exercée par la France, qui n’aura d’autre choix que d’y mettre fin pour transposer la nouvelle directive.

En second lieu, alors que le bâtonnier constitue aujourd’hui un filtre par lequel transitent les déclarations de soupçon qu’il lui revient de transmettre ou non au TRACFIN, la 3ème directive prévoit expressément que ces déclarations devront être transmises à l’autorité d’enquête « rapidement et de manière non filtrée » [11].

Enfin, la définition d’« activité criminelle » comme toute infraction punie d’au moins un an d’emprisonnement fait littéralement exploser le périmètre du blanchiment : même la fraude fiscale se trouve concernée.

Outre les objections d’ordre pratique, qui prévoient un encombrement du TRACFIN face à l’envolée inéluctable du nombre de déclarations de soupçon, l’essentiel du débat se situe pour les avocats sur le terrain déontologique. Le secret professionnel, la loyauté à l’égard du client et l’indépendance de la profession sont les éléments de ce débat. Le Bâtonnier Charrière-Bournazel a ainsi appelé l’ensemble des avocats à la désobéissance civile, en refusant d’appliquer le texte lorsqu’il sera transposé.

[1] Directive 2005/60/CE du 26 octobre 2005 ; Conseils de vigilance et de procédures internes, cahier réalisé par le CNB en septembre 2007 ; J. Lasserre Capdeville, L’extension aux avocats du régime préventif de lutte contre le blanchiment d’argent, Actualité Juridique Pénal 2006 p. 434 ;

[2] Jeffrey Robinson, cité par Olivier Jerez dans Le blanchiment de l’argent (Revue Banque. 2ème édition)

[3] Article 3-5-f de la Directive 2005/60

[4] Article 2-1-3) de la Directive 2005/60

[5] Article 7 et 8 de la Directive 2005/60

[6] Article 9.5 de la Directive

[7] Article 22 de la Directive 2005/60

[8] Article 28-6 de la Directive 2005/60

[9] CJCE, 26 juin 2007

[10] CE, 10 avril 2008

[11] Article 23.1 de la Directive


Accueil du site | Contact | Plan du site | Espace privé | Statistiques | visites : 78047

Suivre la vie du site fr  Suivre la vie du site DOSSIER DE LA REDACTION  Suivre la vie du site La 3ème directive anti-blanchiment   ?

Site réalisé avec SPIP 1.9.2d + ALTERNATIVES

Creative Commons License